Contexte

   « Vous en rappelez-vous ?

                   « Le typhon.

                   « Le vide.

                   « L’obscurité.

                   « La mort.

                   « A chacun ses circonstances. Sa disparition inexpliquée.

                   « Certains se souviennent de ce qui les a menés ici. D’autres oublient. De pauvres âmes y naissent. D’heureuses âmes en sortent.

                   « La Citadelle appelle. Elle étend ses bras de noirceurs par-delà les plans de sa réalité, murmure ses chants de sirène dans l’Autremonde, caresse les marcheurs jusqu’à ce que, las, ils s’effondrent dans les feuillages et basculent entre ses murs.

                   « Ceux qui entendent son appel l’ont ressenti pour une raison précise. Dans ce plan, leurs dons se réalisent. Ils en avaient des manifestations sporadiques dans l’Autremonde ; ici, ils obéissent à leur volonté ; ici, ils sont leurs émotions.

                   « Ils atterrissent dans un désert ou des pavés, dans une forêt ou des rapides ; ils atterrissent entre ses murs ou en dehors. On y arrive, on y naît inchangé ou muté, couvert de poils ou d'écaille. Des chemins s’ouvrent pour certains et se ferment pour d’autres, l’hiver fend l’été, un an se ride et un âge se lisse. Espace et temps ne sont que mensonges, ici. La seule vérité est celle que les tambours de guerre affamés de l’Ombre, à l’extérieur de ces terres, susurre. Venez à nous.

                   « La Citadelle nous exalte. Nous sommes irrémédiablement attirés par l’un de ses quartiers, si nous n’y sommes pas nés. Peu marcheront sur chacun de leurs innombrables chemins, certains prendront des raccourcis qui resteront à jamais fermés aux autres, beaucoup ne verront qu’une fraction de ce que les Patriarches et Matriarches voient.

                   « Chacun entrevoit un futur différent. L’Aigle prend son envol et s’échappe de sa cage quand l’Araignée préfère le confort de sa toile ; la Mante construit sa vision de l’univers sur le dos et la force de ses esclaves quand le Chat forge de meilleurs mondes par l’adresse de ses doigts et de son esprit ; le Lion empoigne sa domination dans l’ordre quand la Pieuvre s’agrippe aux richesses que le chaos laisse derrière lui ; et les yeux du Caméléon voient deux choses différentes, deux visions opposées pour chaque ombre qu’il projette au sol.

                   « Les unions se font et se défont. Les siècles et les ères passent. Le Soleil resplendissait, autrefois. De notre sueur naissaient nos ambitions, de nos ambitions jaillissaient nos rêves. Puis la magie nous a intoxiqués, ce monde s’est fracturé sous notre poing. Le Soleil a rougi. De nos entailles a perlé du sang, du sang ont émergé nos cauchemars. Le Soleil n’éclaire plus qu’une enceinte, désormais. La nôtre.

                   « Et dehors, l’Ombre grandit. Parce que chaque famille ancestrale de chaque faction a une vision différente de l’avenir, parce qu’on ne peut voir le profit du bien commun sans y comprendre le sien, parce que la désunion affaiblit, l’Ombre grandit. Elle recouvre les terres qui s’étendent au-delà des murs et, chaque jour, elle menace un peu plus de nous envelopper à notre tour.

                   « Six portes les retiennent d’entrer. Six grandes portes magiques, toute de brouillard faites. Mais elles s’infiltrent à la moindre faille entre les pierres, s’invitent en son cœur et y projettent leur poigne tentaculaire. Chaque élan néfaste de l’âme qui s’égoutte au sol la nourrit.

                   « La Citadelle appelle. Elle a soif d’âmes. Le Soleil s’éteint ; la Nuit approche ; bientôt, elle règnera. »