Pour un tel lieu, dans un tel quartier, l'établissement était calme. Olgretta avait l'habitude de beaucoup plus de tumulte, de saletés et de brutalité lorsqu'elle visitait des mines d'informations plus ou moins légales. Bien entendu, cette façade ne saurait lui faire baisser sa garde - ce qu'elle ne faisait seulement lorsqu'elle était seule, pour tout dire. Avec lenteur, sa tête tourna de façon à inspecter toute la salle et toutes les personnes, laissant le temps à une analyse poussée. Au moins ne reconnaissait-elle aucun des quelques traqueurs du Royaume des Forêts dont elle connaissait l'identité : une telle rencontre fortuite serait problématique (par chance, elle-même possédait deux visages qui lui permettaient de passer discrètement).

La voix d'un homme lui souhaitant la bienvenue - visiblement le propriétaire, sinon un employé - ne la dérangea pas dans son inspection, qu'elle prit le temps de finir avant de tourner ses yeux vers cet original. Sa proposition de laisser son arme à l'entrée lui fit néanmoins vivement froncer les sourcils. Autant dire que la thériantrope n'était pas ravie de cette demande, en considérant les yeux pleins de colère survolant les armes abandonnées. Aucune réflexion ne lui était nécessaire : il était hors de question qu'elle fît cela. Il s'agissait de l'arme fabriquée par son père, qu'elle gardait depuis de nombreuses années maintenant. Olgretta n'était pas une sentimentaliste qui accordait trop d'importance à un objet, si demain sa hache devait se briser, elle s'en accommoderait sans soucis, mais ce n'était pas pour autant qu'elle ferait une telle chose. A ses yeux, la demande était d'une telle stupidité qu'elle n'en comprenait pas l'intérêt.

Ce ne fut donc guère étonnant qu'elle s'approcha du comptoir avec le manche en bois de sa hache frottant contre l'arrière de sa cuisse. Elle observa ce qu'elle considérait comme un idiot. Il continuait à lui parler, évoquant maintenant un contrat magique. Les sourcils d'Olgretta se froncèrent à nouveau. Les formes de magie contraignant la volonté des individus l'excédaient ; elle en connaissait les ravages. Au stade d'agacement où elle était, il fallait espérer qu'un des clients éméchés ne décidât pas de se lancer dans une bagarre de taverne, où il aurait à faire avec l'ourse de plusieurs centaines de kilogrammes.

La jeune femme prit cependant le temps de lire le-dit contrat - elle prit véritablement du temps, elle qui avait été illettrée jusqu'à son école militaire. Les exigences n'étaient pas des moindres, ce qui la conforta dans son premier avis. Son expérience lui avait apprit à se méfier des phrases des gens de la société, toutes alambiquée et biaisée. Beaucoup jugeaient la thériantrope d'une intelligence inférieure du fait de son manque d'instruction, mais tout dans ces quelques phrases l'invitaient vivement à la méfiance. L'absence totale de violence lui évoquait l'impossibilité de se défendre, la capacité surnaturelle était un appellation trop floue qui était sujet à interprétation, la politesse dépendait aussi de la culture de chacun... La menace à la fin du document était, comme le disait les villageois près de chez elle, la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

Olgretta planta ses yeux dans ceux du propriétaire de l'établissement, et prononça ses premiers mots depuis son arrivée :
« Je ne signerais pas ce contrat, dit-elle d'une voix tranquille mais implacable. »

Qu'importe la promesse d'une mine d'informations, la thériantrope ne voulait pas avoir à faire avec une magie aussi vile et mesquine.